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Une énigme de l'histoire des sciences.

La question que l'on peut, légitimement se poser est : pourquoi les mathématiciens grecs de l'antiquité n'ont pas entrepris la rationalisation du hasard, alors que leur savoir mathématique était grand et nous sert souvent de référence et que les calculs sur les chances sont parfois particulièrement simples ? Pourquoi a-t-il fallu attendre la fin du Moyen-Âge européen pour voir une telle entreprise ? Premièrement cette question est similaire à la question: <<pourquoi les mathématiciens grecs n'ont ils jamais utilisé le zéro ?>>. On peut avancer l'idée que le système de numération et les chiffres indiens (appelés chiffres arabes) a grandement facilité les calculs, mais il est vrai que le zéro a une utilité réelle en probabilité, par exemple on dit qu'un événement impossible a une probabilité nulle c'est à dire égale à zéro. Attention, toutefois la réciproque n'est pas vraie, un événement de probabilité nulle n'est pas nécessairement impossible... Il semble aussi que le concept d'infini ait été nécessaire aux premières élaborations de l'idée de probabilité. Je vais essayer de donner une définition naïve, intuitive du concept de probabilité, attention une telle définition est fausse au yeux de la théorie moderne des probabilités. Supposons que l'on jette un dé et que l'on s'intéresse à l'apparition de la face <<six>>, celle qui est marquée du chiffre 6 ou plutôt de six points. Si l'on jette le dé un grand nombre de fois on peut s'intéresser au nombre de fois où cette face est apparue sur le haut du dé et comparer ce nombre au nombre de fois où le dé a été jeté. Si on fait le rapport entre les deux nombres on obtient la proportion de fois où le six est apparu. En principe on doit avoir la perception que lorsque le nombre de jets du dé devient très grand la proportion se stabilise autour d'un nombre. Autrement dit lorsque le nombre de jets du dé tend vers l'infini, la proportion du nombre de fois où c'est le six qui est apparu tend vers un nombre qui représente la chance d'apparition du six et que l'on appelle probabilité d'apparition du six. Dans cette vision naïve le concept de probabilité d'un événement est lié à l'idée d'une répétition infinie. L'infini n'a pas été utile uniquement aux probabilités, il a été fondamental pour le développement de l'analyse, calcul différentiel, calcul intégral, on appelle parfois cela le calcul infinitésimal, mais aussi pour la géométrie. Le concept d'infini a aussi joué un rôle fondamental dans l'art, il est nécessaire d'avoir une idée de l'infini pour faire de la perspective en peinture, le point de fuite dans un tableau avec une vue perspective est une sorte de point à l'infini. Les premiers concepteurs de tableaux avec des perspectives étaient souvent des techniciens, des ingénieurs et mathématiciens, le prototype de ces artistes scientifiques est Léonard de Vinci (1452-1519) qui a beaucoup travaillé avec Luca Pacioli ainsi qu'avec le père de Jérôme Cardan. En dehors de Léonard il faut citer Léon Battista Alberti (1404-1472) et Piero della Francesca (1412-1492), Tous les deux ont travaillé sur la géométrie et fait de la peinture et surtout mis au point le concept de perspective en peinture. Les interconnexions entre savants et artistes de cette époque sont très nombreuses. Même au vingtième siècle il y a parfois des liens entre art et sciences, le peintre Escher en est un bon exemple, Dali, peintre de génie, a aussi émis des idées sur le positionnement du centre du monde. Ce n'est pas seulement dans les sciences et dans l'art que l'idée de l'infini a joué un rôle, elle a semble-t-il aussi aidé à modifier la représentation du monde chez certains philosophes, comme Giordano Bruno par exemple. Mal lui en a pris, sa vision infinie de l'univers n'a pas eu l'heur de plaire à l'église et en 1600 il a été brûlé vif à Rome comme hérétique, avant cette funeste aventure il avait enseigné brièvement la théologie à l'Université de Toulouse. Il ne parait pas déraisonnable, toutefois de considérer qu'une vision infinie du monde permette plus facilement de se détacher du modèle géocentrique, le rejet du modèle géocentrique est ce qui a valu un procès resté célèbre avec Galilée comme accusé (pourtant elle tourne). En dehors du zéro, des chiffres et de l'infini, il y a une autre absence mathématique importante chez les mathématiciens grecs de l'antiquité c'est ce que j'appellerai la mathématique du temps et du mouvement. Pour expliquer cela il suffit de rappeler le fameux paradoxe d'Achille et la tortue. Ce paradoxe a été imaginé par Zénon d'Élée (490-430 Avant JC). Achille fait une course avec la tortue. La tortue a 100 mètres d'avance. Maintenant, dit Zénon, Achille parcourt 100 mètres et atteint le point de départ de la tortue. Pendant ce temps la tortue a fait le dixième du chemin parcouru par Achille, et se trouve maintenant à 10 mètres devant Achille. Achille parcourt ces 10 mètres. Pendant ce temps la tortue a parcouru 1 mètre. Achille parcourt ce mètre; la tortue avance de 10 centimètres. Achille, parcourt ces 10 centimètres; la tortue avance d'un centimètre. Achille parcourt ce centimètre; la tortue avance d'un millimètre. Ainsi arguait Zénon, Achille se rapproche constamment de la tortue mais il ne peut jamais la rattraper. La présentation de ce paradoxe hyper connu est tiré de <<Les mathématiques pour tous>> de Lancelot Hogben, bibliothèque scientifique PAYOT 1962, un excellent livre de vulgarisation mathématique, qui est un livre extrêmement connu dans le monde anglophone sous son titre original <<Mathematics for the million>> datant des années 1930. Lancelot Hogben était professeur à Aberdeen en Écosse. Bien évidemment les grecs savaient qu'Achille ne pouvait que dépasser la tortue mais ils étaient incapables de poser le problème correctement, au sens où nous l'entendons actuellement. La géométrie grecque paraît de nos jours étrangement statique, le temps n'apparaît pas comme une variable importante dans la position des problèmes de mathématiques et surtout le temps n'y est pas représenté de manière continue comme dans toute l'analyse moderne depuis la Renaissance. Or il est évident que l'existence même du calcul des probabilités est lié à la prédiction et donc au temps futur, la compréhension des premiers calculs des probabilités a été contemporaine de la compréhension moderne du temps en mathématique. Toutes ces raisons avancées peuvent se résumer en une seule, l'absence des outils mathématiques nécessaires aux probabilités ont empêché les mathématiciens grecs de l'antiquité d'aborder un tel sujet.


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Joseph Saint Pierre
1998-11-24