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Digressions sur la place des mathématiques.

Contrairement aux idées répandues, les mathématiques ne sont pas uniquement là pour faire vivre les mathématiciens, ou pour pratiquer une horrible sélection sur de pauvres élèves que l'on oblige à apprendre des formules et des équations... Cette vision existe, en raison, sans doute, de certains abus des systèmes éducatifs. Il est sûr que les mathématiques nécessitent un effort d'abstraction, il y a, dès que l'on fait du calcul, un mécanisme de formalisation. Ce mécanisme de formalisation existe dès l'école primaire, lorsqu'on manipule des chiffres dans une table d'addition on fait un effort d'abstraction. 3 pommes plus 4 pommes égalent 7 pommes a un sens concret, tangible alors que 3+4=7 est une écriture synthétique et abstraite, mais elle à l'avantage d'être valide si on remplace les pommes par des oranges, des doigts, des allumettes, des francs ou des euros... Faire la somme en mathématique est une chose apparemment simple. La table d'addition est la plus simple des tables mais il est évident que dans la réalité physique ou chimique la somme n'a pas toujours exactement la même signification. Ainsi, par exemple, si on ajoute un litre avec un litre, normalement cela doit faire deux litres car 1+1=2 mais un litre d'eau que l'on ajoute à un litre de coton hydrophile ne feront pas deux litres de volume. C'est la même chose avec un litre de sel et un litre d'eau, car le sel se dilue dans l'eau et donne une eau salée de densité plus forte. De même un volume d'oxygène avec deux volumes d'hydrogène donne un volume d'eau bien inférieur, il faut cependant qu'il y ait quelque chose de plus pour provoquer la réaction chimique. Cela marche aussi mais de manière inversée pour la mayonnaise, le volume du jaune d'oeuf plus le volume d'huile doit être inférieur au volume de la somme des deux, pour que la mayonnaise soit réussie, pour qu'elle soit bonne il faut en plus mettre le jus d'un citron pressé, mais il s'agit là de goûts personnels... Dans l'art c'est souvent la même chose on s'attend à ce qu'une collaboration entre artistes donne quelque chose de plus que la somme des <<talents>> des diverses individualités, pour donner encore une référence à mes goûts personnels je dirais que l'exemple qui me vient à l'esprit c'est certaines chansons des Beatles, qui ne sont pas réductibles à la somme du travail de Lennon et MacCartney. Les statisticiens pour décrire ce type de phénomène ont inventé l'interaction. Ceci étant la somme usuelle telle qu'elle s'apprend à l'école primaire est très utile et constitue une étape abstractive très formatrice. Le fait que bien des phénomènes usuels n'obéissent pas à la règle usuelle d'addition mathématique simple n'empêche pas celle ci d'être utilisée dans bien des cas; de plus les règles de composition plus compliquées que l'addition sont souvent définies à partir de généralisations de l'addition, l'exemple élémentaire étant la multiplication. Ce mécanisme de formalisation mathématique est porté à un niveau plus élevé dans les classes supérieures, et il est parfois délicat de recoller les formules mathématiques avec la réalité concrète qu'elles sont censées décrire. Il y a très souvent une approximation, plus ou moins importante, entre l'objet concret que l'on veut représenter et l'entité mathématique qui le représente; le triangle ou le rectangle du mathématicien ne sont pas ceux du géographe, de l'agriculteur, de l'architecte ou du notaire. Le rectangle du mathématicien est un objet idéalisé mais qui représente, de manière assez correcte une zone rectangulaire sur le sol, le calcul de la surface à partir de la formule mathématique est utilisable et utilisée couramment pour les applications concrètes. En statistique on utilise très souvent la loi normale ou loi de Gauss, la fameuse courbe en cloche, l'utilisation de cette loi est justifiée par des considérations de type passage <<passage à limite>>, c'est à dire que l'on fait l'hypothèse d'un nombre infini d'observation potentielles. Le concept même de probabilité d'un événement fait intervenir, de façon implicite l'infini. L'infini est une abstraction mathématique assez difficile à appréhender et même impossible à utiliser sur un ordinateur, par exemple le nombre mathématique pi, noté $\pi$, a, en mathématique, un nombre infini de décimales, on ne connaît ce nombre avec seulement 50 milliards de décimales et quelque soit la puissance des ordinateurs on utilisera toujours ce nombre avec un nombre fini de décimales. L'infini qui est manipulé tous les jours par les mathématiciens restera toujours inaccessible aux informaticiens. La courbe de la loi normale ne touche jamais les bords, cela veut dire que par exemple, quand on dit que la taille des individus d'une population suit une loi normale, on accepte implicitement qu'il est probable de rencontrer des individus avec une taille négative alors que c'est absurde. Il se trouve que cette probabilité est excessivement faible et indistinguable du zéro pour la quasi totalité des calculs faits avec un ordinateur. Mais on peut trouver légitimement gênant une telle situation; l'effort d'abstraction pour surmonter cette gêne est plus important que pour utiliser la table d'addition ou le rectangle mais il est fondamentalement du même ordre. La justification de l'utilisation de la loi normale, ou d'une autre loi, peut paraître arbitraire, ou obéir simplement à des considérations internes à la mathématique, harmonie, logique, cohérence; il se trouve que ces raisons internes, qui existent, sont très fortement liées à d'autres raisons telle que la mise en oeuvre des calculs. La mise en oeuvre des calculs et notamment l'écriture de programmes informatiques, de logiciels, est souvent nécessité par des raisons externes, la faisabilité des calculs n'est pas nécessairement une préoccupation des mathématiciens. Une loi de probabilité qui interdirait le dépassement de certaines valeurs aurait apparemment plus de sens concret, mais rendrait les calculs très compliqués et souvent inutilisables. C'est souvent une qualité d'un modèle statistique que d'être simple et donc manipulable même si cette simplicité vient en contradiction avec certaines réalités.


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Joseph Saint Pierre
1998-11-24