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Exemple de raisonnement du type modélisation.

Ce que je viens de présenter est, si on peut dire conforme, à ce que l'on pourrait appeler l'esprit de la modélisation statistique appliqué à un problème d'histoire des sciences. La variable à expliquer est l'apparition du calcul des probabilités, ou plutôt le contraire c'est à dire, la non apparition du calcul des probabilités dans l'antiquité grecque. Dans un premier temps on s'est posé la question de savoir si cette non apparition pouvait être expliquée par la non existence des outils mathématiques adéquats. Ce premier modèle interprétatif peut être qualifié d'internaliste, l'histoire des sciences étant considérée comme un champ autonome. Dans un deuxième temps, nous nous sommes demandés si la représentation de la destinée humaine par la civilisation grecque antique pouvait influencer la représentation du hasard et, en quelque sorte, interdire la mathématisation de celui ci. Ce deuxième modèle interprétatif peut être qualifié d'externaliste, l'histoire des sciences y est considérée comme dépendante des autres activités humaines. En fait les deux modèles ne se contredisent pas nécessairement, ils sont, sans aucun doute, <<faux>> tous les deux ou pour le moins largement incomplets et il y a sans aucun doute bien d'autres modèles explicatifs. On peut dire que c'est d'ailleurs l'intérêt essentiel de cette démarche que de pouvoir essayer d'autres modèles. J'ai volontairement ignoré le modèle économiste <<marxiste>> traditionnel qui dirait grossièrement que les conditions économiques de l'antiquité n'étaient pas favorables aux mathématiques de la spéculation économique. À contrario la fin du Moyen-Âge même dès le douzième siècle, la vie urbaine devient plus importante et ce sont les banquiers et les marchands qui y détiennent le pouvoir, cela est par exemple visible à Toulouse avec l'apparition des Capitouls, mais c'est encore plus net dans les républiques Italiennes, Gênes, Pise, Florence etc. À Florence l'ascension des Médicis marchands et banquiers est symbolique de ce phénomène. Il existe une importante littérature sur l'histoire économique et sociale de la fin du Moyen-Âge, des points d'entrée faciles se trouvent dans bien des livres de Jacques Le Goff. Il est vrai que les pratiques commerciales, économiques et bancaires de la fin du Moyen-Âge apparaissent différentes de celles de l'antiquité qui étaient basées sur l'esclavage et utilisaient très peu la banque, l'assurance et la spéculation financière. Attention, quand même, on trouve des traces de pratiques économiques modernes dans l'antiquité. Le modèle économiste fournit un autre type d'explication, en terminologie statistique, l'économie apparaît comme la variable explicative la variable à expliquer étant toujours l'émergence du calcul des probabilités. Si l'on considère que le développement du calcul des probabilités est une des multiples composantes du développement scientifique de la Renaissance il est évident que des tas d'autres modèles peuvent être envisagés. Dans un livre intitulé <<The emergence of probability>> Ian Hacking Cambridge University Press (1975), l'auteur recense cinq explications possibles. J'ai trouvé un commentaire sur la question dans le livre <<L'empire mathématique>> de Phillip J. Davis et Reuben Hersh chez Gauthier Villars (1988) dans un passage intitulé <<l'univers stochastisé>> Les deux auteurs soulèvent le problème que j'évoque en une phrase que je cite: <<Le surgissement tardif de la théorie des probabilités est une des énigmes de l'histoire des sciences.>>. Ils ajoutent qu'il y a une coïncidence entre l'apparition de la mécaniste déterministe et d'une vision probabilisée du monde, deux choses apparemment contradictoires... En plus de <<L'empire mathématique>> Phillip J. Davis et Reuben Hersh ont écrit <<L'univers mathématique>> chez Gauthier Villars (1985), les deux ouvrages ont été traduits de l'anglais (plutôt de l'américain) et les versions originales sont plus anciennes, les deux livres sont d'excellents ouvrages de vulgarisation mathématique et informatique, mais les parties concernant l'informatique sont un peu datées, celles consacrées aux mathématiques ont mieux vieilli. Il est par exemple très intéressant pour un historien géographe de regarder le rôle particulier qu'a joué Venise au Moyen-Âge et au début de la Renaissance. Le livre de Luca Pacioli summa... a été imprimé en 1494 à Venise comme près de la moitié des livres imprimés à cette époque. Les pratiques financières de la république de Venise étaient en avance sur leur temps et certaines apparaissent dès le neuvième siècle. Le problème des parties, déjà mentionné, peut être considéré comme Vénitien car il est connu avec une unité monétaire qui est le ducat, c'est à dire la monnaie de Venise. Les Vénitiens à cause de leur possessions maritimes étaient en contact avec les civilisations orientales et tout le monde a entendu parler de Marco Polo célèbre voyageur Vénitien. La prise de Constantinople par les Turcs en 1452, c'est en fait symboliquement la fin du Moyen-Âge, a ramené énormément de savants grecs vers Venise et en raison de sa puissance industrielle, liée à ses gigantesques arsenaux, disposait, au quinzième siècle, d'une forte présence d'ouvriers, de techniciens et d'ingénieurs. Les raisons matérielles ont favorisé l'explosion de l'imprimerie, la présence d'<<intellectuels>> a permis de faire des livres... Venise a ainsi acquis un rôle essentiel dans l'histoire des sciences à la fin du quinzième siècle, époque de l'apparition du calcul des probabilités ou plutôt des signes avant coureur des probabilités. Si on regarde les époques antécédentes on trouvera que l'Andalousie ou la Catalogne ont eu au moment des grandes traductions, au douzième siècle, un rôle essentiel tant dans la redécouverte des mathématiques grecques que dans l'assimilation des mathématiques arabes. Les Juifs d'Espagne ont joué un rôle très important, dans ce processus et leur expulsion d'Espagne en 1492 a permis de diffuser leur savoir à travers l'Europe. Il est inutile d'essayer de trouver tous les modèles possibles et toutes les sources possibles d'explications à un phénomène, mais il est sûr que tenter d'en trouver plusieurs, est à mon humble avis préférable à se fixer sur un seul modèle. Attention à tous les modèles que je viens de mentionner il ne sont que des réflexions d'un amateur, il y a des spécialistes sérieux sur tout un tas de points que j'ai abordés, y compris dans l'Université de Toulouse le Mirail, j'en ai rencontrés. Il faut aussi considérer que la question posée est volontairement restreinte à l'antiquité gréco-latine, il y a d'autres formulations de la question qui auraient pu amener des hypothèses différentes. Une question intéressante serait par exemple : <<Pourquoi la mathématique chinoise n'a pas mis au point le calcul des probabilités ?>>


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Joseph Saint Pierre
1998-11-24