élections européennes 2009, une analyse locale

Joseph Saint Pierre

Juin 2009

Il s’agit de commentaires écrits après une analyse statistique des résultats des élections européennes de 2009 sur la commune de Toulouse en tentant d’expliquer au sens statistique les scores des diverses listes par des résultats à des élections antécédentes sur l’ensemble des bureaux de vote de la commune.

Pour mener ces analyse il faut d’abord récupérer les données puis les mettre sous forme d’un tableau, les lignes correspondant aux unités statistiques ou les cas suivant les terminologies sont les bureaux de vote, les colonnes correspondent aux variables qui sont les nombres de voix pour chacun des listes ou candidats aux diverses élections.

Les sites où sont récupéres les données sont indiqués. La mise en forme d’un tableau a été essentiellement faite avec emacs et quelques commandes du système Unix. La totalité des analyses ont été faite avec deux logiciels libres GNU/PSPP et R. Les calculs simples descriptifs ont été faits avec GNU/PSPP et les régressions multiples avec R en utilisant la commande lm() .

Outre l’intërêt personnel que je porte à l’analyss des résultats électoraux d’un point de vue de citoyen ce type d’analyse présente un intérêt professionnel évident. Avec une certaine habitude de l’utilisation des ordinateurs, du système Unix et avec des logiciels libres on peut constituer des fichiers qui offrent des possibilités de traitements statistiques.

Ce type d’analyses devient plus facile avec le développement des données publiques libres et accessibles sur Internet si possible avec des formats libres.

http://www.regardscitoyens.org/

L’idée de ce type de traitement statistique n’est pas complètement original, Emmanuel Todd mentionne des traitements similaires fondés sur des régressions pour interpréter les votes en utilisant des variables démographiques. Notamment dans "Le destin des immigrés" dont je conseille vivement la lecture pour la qualité de l’utilisation des statistiques en sciences humaines.

Les résultats des élections européennes du 7 juin 2009 sont très intéressants à regarder, à analyser et je suis assez perplexe face aux interprétations que j’ai pu entendre à la radio ou lire dans la presse ou sur Internet.

La plupart des analyses sont fondées sur des comparaisons avec les résultats des élections précédentes et très souvent avec ceux des élections présidentielles françaises de 2007 ou des élections européennes de 2004.

La comparaison entre les élections présidentielles françaises et les élections européennes pose divers problèmes, les élections présidentielles ne concernent que la France alors que les élections européennes, même si elles sont organisées par pays concernent une même institution regroupant les 27 pays de l’union. Le territoire français est divisé en huit circonscription pour les élections européennes les listes ne sont pas nécessairement les mêmes pour toutes les circonscriptions, alors que l’élection présidentielle concerne tout le territoire national avec les mêmes candidats. La différence essentielle concerne le mode scrutin, les élections européennes se faisant avec la proportionnelle alors que la plupart des autres élections françaises se font avec un scrutin majoritaire uni-nominal à deux tours. Il est vraisemblable que les comportements des électeurs dépendent des modes de scrutin et pas strictement de l’accord avec les idées des représentants pour lesquels ils votent. Un nombre croissant d’électeurs semblent avoir des stratégies complexes qui peuvent donner des variations surprenantes.

Je me suis livré à une comparaison statistique des résultats de 247 bureaux de vote de la commune de Toulouse disponibles sur le site http://elections.toulouse.fr/, en juxtaposant les résultats de ces mêmes bureaux pour les élections municipales de 2008 et pour les élections présidentielles de 2007. À partir d’une méthode statistique de régression multiple, j’ai acquis la conviction qu’une grande partie des électeurs ayant voté pour François Bayrou au premier tour de la présidentielle de 2007 ont voté pour la liste Europe Écologie aux élections européennes du 7 juin 2009, bien évidemment de très nombreux électeurs ayant voté pour Dominique Voynet ou José Bové lors du premier tour de la présidentielle de 2007 ont voté pour la liste Europe Écologie aux élections européennes du 7 juin 2009. Certes Toulouse est sans doute un cas particulier, mais je suis convaincu que cela reste significatif d’une attitude plus globale.

Le résultat de François Bayrou lors du premier tour de l’élection présidentielle, 18,57% des suffrages exprimés, est extrêmement fort, par contre les résultats de Dominique Voynet et José Bové 1,57% et 1,32% à cette même élection sont plutôt bas. Pour les élections européennes du 7 juin 2009, les liste du MODEM, parti de François Bayrou, ont obtenu 8,45% des suffrages exprimées et celles d’Europe Écologie 16,28% et il ne faut pas négliger les 3,63% obtenus par les listes de l’Alliance Écologique Indépendante qui semblent avoir aussi récupéré des électeurs ayant voté François Bayrou en 2007, à partir de comparaisons chiffrés. Cela peut aussi s’expliquer par des proximités plus politiques ou simplement de personnes comme Corinne Lepage.

D’après moi le vote pour François Bayrou lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2007 ne correspondait pas seulement à une acceptation des idées, du programme, de la personnalité du candidat. De nombreux électeurs ayant voté pour ce candidat lors de cette élection ont opéré un choix stratégique, correspondant à un rejet des deux candidats arrivés en tête lors de ce scrutin, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal. Une telle stratégie n’a strictement aucun intérêt dans le cadre d’une élection se déroulant à la proportionnelle. Les choix stratégiques des électeurs me semble beaucoup plus importants pour expliquer les variations importantes à des scrutins très différents par nature. La variation phénoménale des scores des candidats "écologistes" entre présidentielles et européennes dépend, elle aussi, plus de considérations stratégiques que d’un engouement subi pour des idées vertes. La comparaison avec les municipales de 2008 au niveau toulousain permet de relativiser certaines variations. Par exemple sur Toulouse la liste du MODEM pour les européennes de 2009 a réalisée un meilleur score (7,45%) que la liste MODEM mené par Jean-Luc Forget lors des municipales de 2008 (5,89%), il est par contre difficile de juger les résultats des "écologistes" certains étant sur la même liste que celle du maire actuel, Pierre Cohen et d’autres sur la liste alternative menée par François Simon qui figurait sur la liste Europe Écologie aux européennes.

La comparaison entre les élections européennes de 2004 et celles de 2009 soulève en ce qui concerne le MODEM un autre problème le MODEM s’appelait alors UDF et de très nombreux membres de l’UDF d’alors appartiennent désormais au Nouveau Centre qui est rattaché à l’UMP, en 2004, les listes de l’UDF ont obtenu 11,96% des suffrages exprimés. Le passage de de 11,96% à 8,45% ne semble pas aussi important si on tient compte de l’évolution du parti, de ses cadres, de ses militants, voire de ses positions.

Les alliances se modifient avec le temps ce qui rend les comparaisons difficiles et cela ne concernent pas que le MODEM et le Nouveau Centre, il est par exemple difficile de comparer les résultats du Parti Communiste Français avec ceux du Front de Gauche, la création du Parti de Gauche a modifié, l’échiquier politique, de même les dissidences dans le Front National peuvent perturber les analyses sur l’évolution de l’extrême droite.

Les commentateurs se sont beaucoup intéressés aux "mauvais" résultats du Parti Socialiste lors des élections européennes, à partir du fichier toulousain que j’ai étudié la principale raison du faible nombre de votes pour la liste socialiste en comparaison avec les élections présidentielles de 2007 est l’abstention, celle ci est nettement plus importante lors des européennes dans les bureaux où Ségolène Royal avait obtenu de fort pourcentages lors des présidentielles. Par ailleurs il faudrait analyser de manière plus fine que je n’ai pu le faire les résultats sur une plus longue période, pour essayer de comprendre certaines variations dont certaines peuvent être petites, le Parti Socialiste n’a apparemment conclu aucune alliance avec de plus petits partis, et un de ses alliés traditionnels, le Parti Radical de Gauche, était totalement absent sans donner de consignes de vote. Je n’ai pas réussi à mettre en évidence un transfert de voix du Parti Socialiste vers le Front de Gauche, ni vers le Nouveau Parti Anticapitaliste. Les comparaisons des totaux de voix de gauche et voix de droite sont tentants dans une perspective binaire et surtout avec l’obsession commune chez de nombreux commentateurs de la prochaine élection présidentielle française de 2012. J’ai regardé cela rapidement et il me semble qu’il y a une très faible variation du rapport de force entre la droite et la gauche, cela ne me semble pas très pertinent.

Certains commentateurs semblent voir dans les élections européennes une étape dont le seul but est permettre l’émergence ou la confirmation de nouveaux chefs charismatiques pouvant amener leur camp à la victoire lors de l’élection présidentielle. De nombreux commentateurs ont tendance à personnaliser les enjeux à identifier des gagnants, des perdants dans la course à la prochaine élection présidentielle.

L’idée de la comparaison des élections européennes de 2009 avec les municipales toulousaines de 2008 m’est venu à l’esprit parce que j’avais les données, parce que ce sont les élections les plus récentes et donc il y a eu une très faible variation du corps électoral, mais aussi parce que la liste de l’UMP de la région était menée par Dominique Baudis qui a été maire de Toulouse entre 1983 et 2001. Je me suis demandé si il y avait encore un effet Baudis sur les électeurs toulousains ou si les électeurs toulousains ne se déterminait qu’en fonction de critères nationaux, le vote pour l’UMP n’étant qu’un vote pour le parti du président de la république et donc, pour de nombreux commentateurs, une manière d’affirmer un soutien à l’action de ce dernier. Le paradoxe politique toulousain a consisté entre 1971 et 2008 a voter à gauche pour les élections nationales et notamment les élections présidentielles, exception en 2002 bien évidemment, et délire une municipalité de droite, Dominique Baudis ayant été le seul maire élu toujours au premier tour avec de de très bons scores. Par ailleurs monsieur Sarkozy en 2007 a obtenu de très mauvais résultats à Toulouse y compris dans les quartiers bourgeois dans lesquels les résultats de Dominique Baudis étaient excellents. Il y a bien un "effet Baudis", les résultats de la liste UMP aux européennes sont meilleurs que ceux de monsieur Sarkozy en 2007, 30,03% contre 26,75%. Attention, cet "effet Baudis" pourrait être un leurre et la variation positive pourrait être expliquée par un changement local en faveur de monsieur Sarkozy ou même un effet Christine de Veyrac, toulousaine et deuxième sur la liste.

Ces considérations peuvent sembler anecdotiques mais elles ont pour but de montrer que les incertitudes dans les interprétions sont grandes et les sources de variations nombreuses.

Certaines des variations observées localement et nationalement sont valables dans de nombreux pays européens, les partis sociaux démocrates perdent des voix, les partis de "droite" et les écologistes en gagnent. Je n’ai pas eu le temps de traiter toutes les données disponibles. Les effets de ce que l’on appelle la crise économique actuelle sur les comportement électoraux me semblent intéressants à étudier, le mot "crise" est souvent apparu dans les discours, il est légitime de voir un certain paradoxe dans le déclin des partis sociaux démocrates européens alors que de nombreuses mesures préconisées par des gouvernements "libéraux" pour faire face à la crise ressemblent à des recettes de cette même social-démocratie.

On peut tenter de lire les résultats des listes écologiques lors des élections européennes de 2009 avec l’idée d’une possible influence de la crise économique, même si je pense avoir montré qu’il y avait des effets de mode de scrutin et beaucoup d’incertitudes. Les liens entre économie et écologie me semblent très importants mais je refuse de voir l’indice d’une prise de conscience croissante sur ces sujets de la part des électeurs. Le résultat le plus important et le plus évident c’est bien évidemment l’abstention massive et croissante aux élections européennes.

Pour trouver de nombreux chiffres sur les résultats des élections en France je vous conseille le site suivant :

http://www.france-politique.fr/